L’âge d’airain de Rodin. Cette première œuvre évoquant l’homme des premiers âges qui s’éveille à la vie attira de nombreuses critiques. En effet son traitement plastique si réel fit croire que l’artiste l’avait moulé….
En 1877, Rodin a 37 ans. Il vient d’effectuer un voyage en Italie où il a découvert Michel Ange, artiste qu’il admire par dessus-tout. Installé à Bruxelles, il a suivi son maître Carrier-Belleuse après la guerre de 70. Là, il réalise un travail alimentaire que ne le satisfait pas pleinement. Aussi travaille t-il parallèlement à des sujets qui lui sont chers. En 1875, son Homme au nez cassé est accepté par le Jury alors qu’il avait été refusé dix ans plus tôt. Cela encourage l’artiste qui se lance dans une œuvre de plus grande envergure. Ainsi, en 1877, il il expose un plâtre représentant un homme nu.
On connaît le modèle. Il s’agit d’un soldat belge, Auguste Ney. Il tenait à l’origine une lance dans la main gauche, symbole de la défaite de la guerre de 70. Mais Rodin n’est pas un adepte de la représentation concrète et figurative. Sa recherche se tourne plutôt vers l’ampleur, l’universalité, l’allégorie. Épris de littérature et de poésie, il s’inspire du poète grec Hésiode qui décrit un âge d’airain comme le troisième âge de l’humanité. C’est un âge où l’homme mur s’éveille véritablement à la vie.
Aussi Rodin ôte la lance à son soldat et lui demande d’étirer son corps souple en rejetant le bras vers l’arrière comme s’il s’ouvrait au monde. Il en résulte une statue extrêmement vivante. Une jambe droite et l’autre légèrement pliée permettent au corps d’effectuer un mouvement de grande sensualité. Le torse et la tête basculent vers l’arrière et l’on a l’impression que l’homme hume l’air et découvre la vie. Ainsi, le modelé du corps fait de multiples facettes dégage une énergie subtile et semble se mouvoir.
La statue n’est plus “le Vaincu” mais l’Age d’airain”. Cette posture à l’opposé de ce qui se faisait à l’académie nous donne l’impression d’être prise sur le vif. Seulement voilà, la statue est si parfaite qu’elle en est suspecte. De plus le comité ne comprend pas le titre allégorique de la statue. Le plâtre exposé à Bruxelles est refusé. En France, le Jury expose la statue mais refuse de la mouler en bronze, se ralliant à la suspicion de Bruxelles.
Si Rodin a longtemps baissé les bras, cette suspicion le blessera tant qu’il présentera un dossier constitué de preuves. En effet, il réunit des photos montrant le soldat posant, ainsi qu’une quantité de dessins préparatoire. Ses amis sculpteurs, tels Carrier-Belleuse ou Falguière, viennent à son aide. Si bien qu’Edmond Turquet, directeur des Beaux-Arts, conquis par l’œuvre et la sincérité de Rodin achète le plâtre et commande une version en bronze.
Le scandale que provoqua cette œuvre n’est rien d’autre que le reflet de la querelle des anciens et des modernes. Elle montre aussi que la critique très secouée par la guerre préfère la représentation du soldat en héros plutôt que l’allégorie philosophique. Mais toute scandaleuse qu’elle fut, la sculpture permit enfin à Rodin de sortir de l’ombre. En effet, elle lui valut en 1880 la commande de la Porte de l’Enfer, l’oeuvre de toute une vie.