Pablo Picasso et Giacometti deux figures incontournables de l’art européen. Pourtant une génération les sépare, Picasso est né en 1881 et Giacometti en 1901. Les deux hommes se rencontrent par l’intermédiaire de Juan Miro en 1931, à l’époque où les deux hommes fréquentent le groupe des Surréalistes.

Leur rapport est complexe. Picasso admet chez Giacometti ce qu’il n’admet pas chez les autres artistes. Giacometti de son côté, regarde constamment ce que fait le peintre catalan. Une grande idée les rapproche : l’impossibilité de sculpter ou peindre avec une vision naturaliste.

Lorsque Giacometti arrive à Paris en 1922, il a tout juste 21 ans et Picasso est le maître de l’avant-garde. Son travail à l’académie de la Grande Chaumière aux côtés de Bourdelle ne le satisfait pas pleinement. Mais au contact du maître, il se dirige vers l’abstraction avec plus de facilité. Pour autant, Picasso n’a pas eu de formation de sculpteur et le regard de Giacometti sur la sculpture africaine par exemple, l’interpelle. La Femme cuillère de Giacometti, réalisée à l’époque où il travaille beaucoup avec Brancusi provoque l’admiration silencieuse de Picasso. Cependant, les formes cubistes très épurées de Picasso subjuguent Giacometti. Cependant, ce dernier écrira à son père de précieux témoignages. « J’ai vu des peintures de Picasso, on dirait des sculptures, il veut toujours tellement faire quelque chose de nouveau qu’il me fatigue ».

En même temps, l’art africain marque Giacometti dans la construction totémique des corps. La femme cuillère en est un vivant exemple. Cependant la polychromie dans la sculpture est aussi une préoccupation de Giacometti qui touche Picasso. Sa figure sculptée et peinte de 1908 le prouve.

Dans les années 30, alors que les deux artistes fréquentent les Surréalistes, la forme plate des visages les préoccupent chacun à leur manière. Giacometti sculpte des visages qui se rapprochent des idoles Cycladiques, alors que Picasso peint de grands visages noirs et blancs en aplat.

Par la suite, l’analyse de la mort et sa matérialisation comme objet sont deux traits communs aux artistes. Déjà dans la mort de Casagemas en 1901, Picasso avait représenté la tête du défunt rejeté en arrière. Elle paraissait telle une forme en plein abandon. Giacometti avec sa tête sur une tige lui donne une forme autonome poignante qui révèle l’abandon de la mort à elle-seule. Les deux formes de têtes de mort et leur caractère décharné rappellent le spectre de la mort de manière flagrante.

Puis, lorsque Giacometti réalise l’homme qui marche en 1947, œuvre la plus emblématique de sa carrière, il crée pour la première fois une œuvre de grande dimension. Mais il épure tellement sa silhouette qu’il en façonne une figure telle une tige qui se déplace dans l’espace avec un grand dynamisme. Picasso en retiendra surtout l’anonymat de la silhouette qu’il reproduit telle une ombre dans un atelier. L’ombre c’est lui, l’artiste anonyme est seule dans son atelier.

Alberto Giacometti n’est pas indifférent à la peinture de Picasso. Il expose à Zurich en 1932, un carnet fourni d’un grand nombre de croquis réalisés d’après les œuvres de Picasso. Il reprend des études de visages et des expressions pathétiques que Picasso a dessiné. Ce dernier représente le couple dans une toile où l’on voit un homme et une femme danser. Les couleurs les opposent et reflètent cette idée très Surréaliste qui trouve que le rapport du couple entre l’homme et la femme est tout de même assez conflictuel.

Les rapports entre Picasso et Giacometti se détériorent vers les années 50. Cet été là, les deux artistes se retrouvent à Vence pour aller voir la chapelle de Matisse. Mais Giacometti n’est pas au rendez-vous. Picasso le lui reproche et le sculpteur italien lui rappelle que la proximité n’est pas essentielle dans l’amitié. On raconte que pour entrer en tant qu’artiste dans la galerie Kahnweiler, il y a un vote des artistes pour l’acceptation des nouveaux arrivants. Et Picasso aurait refusé l’entrée de Giacometti. Ce dernier reproche assez vite de « piquer les idées des autres » et il ne sera pas le seul. Il en profite pour parler des toiles de Picasso comme de belles affiches. Picasso rétorque auprès de Michel Leiris en disant que les œuvres de Giacometti sont extrêmement répétitives

Il n’empêche que les artistes ne cesseront de regarder leur œuvre mutuelle, qui dans des directions opposées, ont souvent fait l’objet d’un souffle commun.