Paul Rosenberg, ce galeriste ami de Picasso et Braque contribua à faire connaître leur peinture au monde entier. Aux étages de sa galerie 21 rue de la Boétie, il dispose des toiles impressionnistes mélangées à des toiles modernes. Cette mise en scène éducative attire les collectionneurs vers un art qu’il ne connaissaient pas. Malheureusement pendant la Seconde Guerre, la galerie fut l’objet de spoliation par la régime nazi. De nombreuses toiles sont sorties du 21 rue de la Boétie qui abritait son immense collection. Aujourd’hui sa famille est encore à la recherche de plusieurs d’entre elles.

Ruiné par une cargaison de mauvais grain, Alexandre Rosenberg, originaire de Slovaquie, décide de se transformer en antiquaire. Il achète à Drouot un tableau de Sisley pour 87,50 Frc, puis un Van Gogh. D’autres achats suivent. En 1906, ses deux fils, Paul et Léonce Rosenberg se partagent une collection de tableaux déjà conséquente. On y trouve des toiles de Toulouse Lautrec Manet, Sisley ou Renoir. Léonce ouvre une galerie au 19 rue de la Baume et Paul au 21 rue de la Boétie. Si Léonce s’enflamme pour le cubisme, Paul demeure plutôt classique. Mais son amitié avec Picasso le pousse à lui acheter nombre de toiles, et même à lui offrir un appartement voisin du sien. Très vite, Paul va mettre en marche une véritable machine d’acquisition de toiles modernes. Chaque tableau qui entre dans sa collection est fiché, indexé, répertorié.

Par ailleurs, Paul Rosenberg achète des toiles aux artistes contemporains. Par exemple en 1913, il signe un contrat avec Georges Braque. La même année, il en signe un autre avec Marie Laurencin. Mais la grande Guerre disperse les artistes et les acheteurs. Picasso continue à peindre. Mais Derain qui est au front ne peint plus. Rosenberg tout comme Paul Guillaume bénéficie de la vente de la collection de Kanhwheiler, que la nationalité allemande a écarté de toute vie économique. Mais trouver le bon prix à une œuvre est loin d’être facile. Rosenberg décide de l’indexer sur l’offre et la demande. Par ailleurs, il propose des contrats rémunérés avec les peintres, avec des « droits de première vue ». Ainsi, dans le milieu âpre des marchands où la concurrence est féroce, Paul Rosenberg apparaît comme le marchand incontournable tant pour trouver une œuvre d’art que pour en fixer le prix.

Pour convaincre ses clients, Paul Rosenberg montre des toiles impressionnistes disposées comme dans un appartement privé, au milieu de canapés et fauteuils XVIIIe. Puis au second étage, il montre d’autres toiles impressionnistes mélangées avec des œuvres modernes. La mise en scène subtile du galeriste amène par surprise les collectionneurs à regarder l’art de l’avant-garde.

A Picasso, Rosenberg achète ses plus belles toiles, telles que sa Nature morte à la tête antique ou bien ses Guitare et compotier . A Braque il achète son Nu couché et une version de Duo qui figure aujourd’hui dans les collections du musée Georges Pompidou. En 1919, il organise dans sa galerie une exposition Picasso sans aucun tableau cubiste. En effet, le peintre ne présente que des arlequins. Marie Laurencin que son mariage avec un allemand a beaucoup fragilisé est en voyage en Espagne. Elle en ramène des portraits ainsi que les Deux espagnoles que Paul lui achète aussitôt. L’artiste reconnaîtra que Le galeriste lui aura sauvé la mise dans cette époque de misère.

Malheureusement la montée du nazisme l’inquiète. Le nouveau régime allemand hait les Juifs mais aussi la peinture moderne qu’il qualifie de dégénéré. Les peintres allemands qui ont du succès, tels Max Liberman ou Gisbert Palmie prônent une peinture figurative, admirative de l’Antiquité et d’une société prospère et travailleuse. Rien à voir avec la peinture d’avant-garde de la collection de Paul Rosenberg. En 1939, un autodafé provoque la destruction d’un nombre important de toiles modernes par le gouvernement allemand. Il est suivi d’une exposition « d’art dégénéré » qui attirera 3 millions de spectateurs. Sous l’Occupation le régime allemand s’en prend aux bien juifs à commencer par la collection Rothschild. Alors que Paul Rosenberg a quitté la France pour New York, il supplie ses confrères de n’acheter aucune toile aux allemands. Elles sont toutes volées et servent au financement des armes.

Si le galeriste est parti, près de 300 œuvres sont restées dans sa galerie. Paul Rosenberg apprend sa déchéance de nationalité française. Il parvient cependant à communiquer avec la France et en particulier avec Matisse réfugié à Nice. Le 21 rue de la Boétie devient une officine de la Gestapo qui devient le point de ralliement de tout ce que Paris compte de Français « nazifiés ». On regrettera la présence de Céline dans cette officine. Après la guerre, ce sera un long chemin pour récupérer les œuvres spoliées. Paul Rosenberg reviendra en France en laissant à son fils la galerie de New York qui contribuera à faire connaître la peinture d’avant-garde française outre Atlantique. Cependant, la famille de Paul Rosenberg représentée essentiellement par la journaliste Anne Sinclair, est bien loin d’avoir retrouvé toutes les toiles de cette immense collection.