LA PORTE DE L’ENFER DE RODIN, QUAND LA POESIE SE FAIT CHAIR

En 1880, Auguste Rodin reçoit la commande d’une porte pour le musée des Arts décoratifs sur le thème de l‘Enfer de Dante. Ce texte magnifique est la première partie de la Divine Comédie. Le poète florentin du XIVe siècle raconte comment Lucifer ayant été chassé du Paradis par Dieu, serait tombé sur la Terre. Cette dernière se serait rétractée de terreur, formant un trou béant appelé l’Enfer. Ce trou béant en forme d’entonnoir se compose de 9 cercles, dans lesquels des poètes comme Virgile et Dante tracent leur chemin. Ils assistent aussi à la perdition des âmes damnées. Plus ces dernières atteignent les profondeurs, plus elles s’éloignent de Dieu selon une échelle de valeur inventée par l’auteur.

Ainsi, le texte de Dante décrit non seulement les péchés capitaux mais aussi le drame humain que provoquent les passions et les vices. On y reconnaît la convoitise ou la cupidité. Au milieu de cette spirale infernale qui contient tous les péchés, le poète gravit les marches ascendantes. A leur sommet l’attend Béatrice, ambassadrice de la Révélation.

Bien que Rodin n’ait jamais eu de scolarité poussée, ce texte le passionne au point qu’il en explore les contrés les plus infimes. La poésie du texte ainsi que sa philosophie lui parlent. En outre, cette passion littéraire qu’il partage avec Camille Claudel, va devenir une formidable source d’inspiration.

Ainsi, l’artiste se met à élaborer des figures de vices et de péchés sous la forme de corps indomptés. Ces derniers subissent milles sévices invisibles. De plus, ses dessins et ses plâtres forment d’abord des groupes de plusieurs personnages. Puis ils se concentrent  sur des couples emblématiques. Ainsi, le groupe d’Ugolin et ses fils représente le tyran de Pise condamné à mourir damné. En effet, il aurait dévoré ses enfants morts en prison plutôt que de périr de faim. Mais l’homme que décrit Dante est condamné à mourir damné pour avoir opprimé son peuple. Alors que, sous la main créatrice de Rodin, il devient un être méprisable. En effet, il rampe dans une attitude presque vulgaire. Abattu, son geste se réduit à la recherche d’un morceau de chair qui pourrait assouvir son instinct de bête.

Quant au couple, le plus poétique est celui de Paolo et Francesca qui périrent pour adultère. En effet, ils furent surpris se donnant un vrai baiser d’amour par le mari qu’on impose à Francesca.  Leur faute les condamnent à la damnation.

Mais de quelle damnation parle-t’on?

Alors que le poète dénonce la beauté d’un amour bafoué, Rodin pose la question de l’autorité. Qui décide de la damnation et qui est damné? Ces deux êtres qui s’aiment sans y être autorisés?  ou ce mari trompé qui choisit le meurtre plutôt que d’accepter la vérité?

Rodin élabore des figures qui changent, évoluent, se métamorphosent. Elles s’éloignent progressivement du texte littéraire pour entrer dans son monde. En effet, Rodin choisit d’abord de créer une porte constituée de compartiments. Il s’inspire ainsi de la belle porte du Paradis du baptistère de Florence de Ghiberti. Puis il abandonne son projet et au bout de dix ans de labeur et de réflexion. Il décide de laisser ses figures et ses groupes prendre place librement dans cette porte sans contraintes. Cette dernière offre désormais une composition nouvelle, terriblement moderne, que Rodin n’ose encore montrer.

En 1900 cependant il se lance et dévoile son œuvre. Il provoque ainsi malgré lui une émotion intense chez les spécialistes. C’est la première renaissance d’une œuvre qu’on attendait depuis longtemps. Mais l’artiste n’a pas dit son dernier mot. En effet, il n’ose encore montrer la version finale de cette porte qui lui donne tant de mal. En 1917, Léonce Bénédite,  conservateur du musée Rodin, parvient à convaincre le sculpteur de le laisser reconstituer son chef-d’œuvre. Il en fait réaliser une fonte, ce que Rodin accepte. Mais il n’en verra pas la réalisation, car il meurt la même année.

Véronique Proust

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