Soutine artiste maudit

Chaïm Soutine est né en 1893 en Lituanie. Son enfance est marquée par la tradition juive. Dans sa famille, il sont onze enfants qui vivent dans une grande pauvreté. Soutine va à l’école du village et devient l’ami de Krémègne et Kikoïne qui seront aussi des artistes de l’École de Paris. Chaïm s’échappe de sa maison et se réfugie à Minsk chez un oncle tailleur. Il commence alors à dessiner et peindre. Plus tard ses deux amis, Krémègne et Kikoïne partent à Paris. Soutine les suivra en 1913.

Lorsqu’il arrive à Paris, il a tout juste 20 ans. C’est un jeune homme sauvage qui parle peu. Ses amis lui obtiennent une place à la la Ruche de Montparnasse où il commence à peindre surtout des portraits. Ce qui est important pour lui quand on connaît l’interdiction de représenter la figure humaine pour des sujets religieux dans la tradition juive. A la Ruche, Soutine rencontre Modigliani , Matisse, Chagall et Picasso, Kisling et Zadkine. Nombreux sont ceux qui parlent russe.

Soutine peint des personnages qui dégagent une immense profondeur. Les couleurs pures soulignent les nuances des visages et vont chercher les infimes parcelles de l’âme. Parfois les contours des silhouettes vacillent et semblent se perdre en méandre. Conseillé par Pierre Brune, il part en 1919 faire un séjour dans le midi, à Céret, pour éclaircir sa palette. Ombrageux et même colérique, il vit à l’écart de la communauté des peintres et réalise des toiles tourmentées sur le thème des platanes. Leur troncs ocres et verts olive demeurent verticaux tandis que les maisons vacillent et semblent emportée par un tremblement de terre. Dans Les maisons du musée de l’Orangerie, les façades démesurément allongées ondulent et se tordent comme une danse endiablée.

Zborowski, courtier d’art lui assure le gîte et le couvert et le soutient dans son art. Pendant ces trois années à Céret, il a réalisé les toiles les plus inventives de sa carrière. En 1922, l’artiste rentre à Paris sans avoir réussi à vendre aucune toiles. Néanmoins, sa rencontre avec Paul Guillaume et le docteur Barnes, collectionneur américain va être fondamentale. Les deux hommes vont en effet lui acheter de nombreuses toiles et l’encourager.

Soutine habite alors à Montparnasse avec Modigliani. Les deux peintres sont hébergés par Zborowski. Ils mènent alors une vie de bohème tapageuse, forçant sur l’alcool et les filles. Soutine va au musée du Louvre et tombe en arrêt devant le Boeuf écorché de Rembrandt. Cette toile lui dévoile l’attrait de la représentation de la chair. Il en fait une copie et réalise dans les années 1925 une dizaines de toiles sur ce thème. Il habite alors dans un atelier de la rue saint-Gothard à Montparnasse. Là, il se rend aux abattoirs de Vaugirard et achète des pièces de viande pour les représenter. Boeuf et tête de veau du musée de l’Orangerie nous montre une carcasse de bœuf aux teintes rouges et jaunes tracées par de larges aplats de pinceau large.

La représentation de la chair est pour lui le seul moyen de représenter ses modèles, comme pour les faire parler de l’intérieur.

On doit à Soutine un grand nombre de portraits où l’on retrouve le pinceau vacillant et la couleur pure qui vient scruter leur âme. C’est le cas de la Fiancée au regard triste, de Le jeune anglaise légèrement maniérée ou de L’enfant de chœur.

Ce sont alors les années dorées du peintre. Son amitié avec Modigliani le conduit de bar en bar pendant de longues nuits de Montparnasse. Il entame une liaison avec Deborah Melnick qui lui donnera une fille en 1925. Le docteur Barnes, son mécène vient souvent à Paris, se rend directement dans l’atelier de Soutine, cloué au lit par l’alcool et un ulcère à l’estomac qui le ronge. Il choisit quelques toiles et laisse une poignée de dollars sur la table.

Bien que ses toiles se vendent grâce à Zborowki et Paul Guillaume, Soutine connaît un passage à vide dans les années 25. Le courtier d’art le renvoie dans le midi à Céret où il peint maintes fois le même arbre car il peut le réaliser en étant caché. En effet, sa phobie d’être vu en train de peindre, ses complexes et ses peurs contrastent avec son succès international. Malheureusement la récession des années 30 touche le marché de l’art. Ce sont les Castaing cette fois-ci qui l’aident à payer ses factures et l’hébergent.

En 1937, il loue un atelier au 18 villa Seurat dans le quartier Alesia où vivent également Chana Orloff et Henri Miller. Là, il s’installe avec Gerda Groth qui lui apporte douceur, tendresse et équilibre. Le peintre mène une vie plus sereine et songe à soigner son ulcère. Cependant en 1940, sous le régime de Vichy, Gerda en tant que ressortissante allemande doit se rendre au Vel d’Hiv. Il ne la reverra plus.

Malgré sa rencontre avec l’excentrique Marie-Berthe Aurenche, Soutine doit fuir la capitale occupée. En effet, les Allemands savent que Montparnasse et Alésia sont truffés d’artistes juifs. Le peintre toujours miné par la maladie doit fuir les rafles incessantes.

Son ulcère à l’estomac transformé en cancer lui fait vivre un véritable martyr. Transféré d’urgence à l’hôpital il meurt le 8 août 1943 sans que les médecins n’aient pu le sauver.

Il est enterré au cimetière Montparnasse.