Füssli peintre anglais de la littérature et du théâtre est l’un des artistes emblématiques de l’Angleterre du XVIIIe siècle. Alliant culture littéraire et goût pour le sublime terrifiant, il s’inspire de la littérature et du théâtre pour nous livrer des toiles magnifiques. Gnomes, fées, héros terrifiées et Walkyries dominantes habitent ses toiles. La qualité des compositions, la plastique exceptionnelle des personnages et la ténébreuse lumière théâtrale nous stupéfient…

Né en 1741 à Zurich et mort en 1825, Füssli a fait presque toute sa carrière en Angleterre. Ses toiles sont très imprégnées de la littérature et de la poésie, celles de Shakespeare ou Milton. Elles sont peuplés de gnomes, de fées et de personnages mythologiques en proie à l’effroi. Dès sa naissance, son père lui-même peintre, le voue au pastorat. Mais la fibre artistique prend le dessus et après ses études de théologie, Füsslï se lance dans l’art. Il fréquente à Zurich les milieux intellectuels et se lie avec Lavater. Ce dernier est l’inventeur de la physiognomonie, l’étude du caractère par les traits du visage.

Mais Füssli ne se destine pas encore à la peinture et il veut rencontrer les poètes allemands. Aussi voyage-t’il en Allemagne en 1761. Mais les poètes de Weimar le déçoivent. Puis il se rend à Londres et rencontre de jeunes poètes romantiques anglais qui lui plaisent beaucoup. A cette époque encore, il ne pense pas devenir dessinateur car son vrai penchant est la littérature et la poésie. Cette influence est d’autant plus importante que ces deux matières influenceront considérablement sa peinture. Puis il se lie d’amitié avec deux banquiers. L’un, Thomas Coots lui paiera un voyage en Italie. Ainsi, Füssli part à Rome, Florence, Herculanum et Pompéi.

Il observe aussi les paysages de ses contemporains. Et ces derniers s’intéressent aux couchers de soleil, aux ruines, aux émotions du passé révolu et même à la mort prochaine. Mais sa vraie révélation est la découverte de Michel-Ange et de Raphaël. Or, à cette époque, ces deux génies sont considérés comme le comble d’une « peinture gothique de mauvais goût ». Mais Füssli pense le contraire. En effet, il est fasciné par les épaules serpentines de Raphaël et les musculations extraordinaires des corps de Michel-Ange. Enfin le maniérisme marquera sa formation, celui de Cranach ou Hans Baldung, et tout sorte d’art qui magnifie la distorsion du corps et l’exaltation des attitudes.

De retour à Londres en 1779, il côtoie toute une société aristocratique très impliquée dans l’économie et la banque. Elle est aussi férue de nouveauté. Pour autant, elle apprécie les beaux portraits de Reynolds et Sir Laurence, magnifiquement peints et plutôt classiques. Mais elle ne connaît pas encore ce que Füssli va déclencher, par son formidable imaginaire, dans la génération suivante des peintres britanniques. En effet il révélera au public une œuvre paradoxale où se côtoient le Sublime et le Grotesque qui permettront à la peinture classique d’accéder au romantisme  .

Füssli de son côté découvre l’enquête philosophique sur le Sublime d’Edmund Burke. Ce dernier avance que le Beau est ce qui est plaisant à l’œil. Mais le Sublime peut prendre du pouvoir sur l’homme et le détruire. Cette révélation va éveiller chez Füssli un goût pour le cauchemar et l’horreur. Car pour lui, le Sublime ne relève pas du plaisir positif mais de la terreur que l’on subit toutefois sans conséquence. En un premier temps l’artiste va s’intéresser à la littérature allemande et peindre les thèmes tels que la Mort de Siegfried. Cela lui permettra de développer une image de la femme assez proche de la Walkyrie Brünnhild, guerrière terrifiante issue de la mythologie nordique.

Dans ce cadre, la modernité de Füssli dans la représentation de la femme, annonce celle de la Salomé de Gustave Moreau ou de la Judith de Klimt.

Puis Füssli se rapproche de la littérature britannique avec The Rape of the Lock d’Alexandre Pope. Il s’agit d’une histoire sulfureuse qui opposera farouchement deux familles à la suite du vol d’une boucle de cheveux d’une de leur fille, Belinda. S’inspirant de l’imaginaire de Pope, Füssli va développer toute une esthétique de la coiffure et de la chevelure, qui le suivra toute sa vie. Par ailleurs, il introduit dans son art un véritable univers de fées d’une bienveillance malsaine puisque souvent accompagnées d’une binôme morbide.

Enfin, Füssli peint de nombreuses toiles évoquant le tiraillement entre le Bien et le Mal, le Bien et le Péché, Dieu et Satan. Satan est effroyable et toujours plongé dans l’Obscurité. Mais l’artiste dépouille l’image de Dieu de sa barbe ancestrale. Il en fait naître un maître de l’univers, débarrassé de sa coque du Dernier Justicier.

Un jour John Boydell, maire de Londres, mais aussi grand éditeur, repère le traitement pictural de Füssli du Bien et du Mal. Aussi lui propose-t’il d’illustrer le Paradis perdu de Milton. Füssli lit le recueil de poème et découvre un monde qui lui convient admirablement bien. Milton y relate en 12 chants, la chute de Satan en Enfer et la chute d’Adam et Eve sur terre.

Füssli développe alors ses compositions baignées d’ombres et de lumières soudaines, ses distorsions des corps, ses visages en proie à l’effroi. Le succès de cette expérience est mitigé. Mais Füssli s’attelle à la décoration de la Shakespeare Gallery. Il s’agit d’une galerie d’art réunissant l’intervention de plusieurs peintres contemporains. Ils y peignent des décors, ou illustrent les livres du grand auteur. L’idée est d’autant plus judicieuse que Shakespeare était tombé dans l’oubli au XVIIe siècle. Mais le renouveau du théâtre et l’intervention de David Garrig suscitera dans la seconde moitié du siècle un engouement extraordinaire pour le grand auteur. En effet, il est un grand acteur mais aussi un scénographe moderne.

Füssli se met à peintre et à illustrer des scènes de Hamlet. Il multiplie et répète aussi les compositions dynamiques aux lumières tragiques. Il revisite constamment Hamlet au théâtre et prend des croquis de Lady Macbeth. Plusieurs fois, il recompose la scène du meurtre de Duncan, Lady Macbeth le couteau à la main et Hamlet terrifié. Ses toiles les plus emblématiques illustreront Le Songe d’une nuit d’Eté. Le mari de Titiana lui jette un sort pour qu’elle tombe amoureuse du premier venu. Ce dernier sera Nick Bottom, transformé en âne, et la jeune héroïne n’hésitera pas à embrasser cette épouvantable créature à tête d’âne. Là, la question du réel et de l’irréel, de la passion amoureuse et du rêve, se mélangent admirablement bien sous le pinceau de Füssli. En effet il transforme son œuvre en image quasiment surréaliste….

L’exposition du musée Jaquemart-André réunira une soixantaine d’œuvres permettant d’approfondir notre connaissance de ce peintre. Elle nous fera aussi découvrir la production artistique de ce peintre au cœur de la société britannique des années 1780-1800. Evènement clos. Renseignements au 0142800154