L’ECOLE DE PARIS Modigliani, Soutine, Chagall…

FUIR LA GUERRE ET LES INTERDITS RELIGIEUX

Le 15 Avril 1881, le gouvernement russe qui veut maintenir la religion chrétienne dans le pays, entame une politique antisémite d’une rare violence. Le programme se résume à ceci: Un tiers des Juifs sera converti, un tiers émigrera, un tiers périra. Les exactions envers eux obligent de nombreuses familles à émigrer. Parmi elles, plusieurs artistes.

C’est le cas de la famille de Chana Orloff qui quitte la Russie pour s’installer en Turquie ottomane. Le père de Chana, sioniste convaincu, pense que l’avenir des Juifs est en Israël. Chana est douée et dotée d’un caractère indépendant. Elle veut être artiste, se libère du carcan familial et débarque à Paris en 1910. Elle travaille d’abord comme styliste et suit des cours dans l’atelier de Marie Vassilieff. Puis elle s’inscrit à l’école des Arts Décoratifs, dite « la petite école », en opposition à la « grande école », l’école des beaux Arts où les femmes ne sont pas admises.

Dans le Paris de la Bohème, elle rencontre Modigliani et Soutine, Foujita et Jean Cocteau. Chaïm Soutine est juif lui aussi, né en Lituanie et élevé dans une extrème pauvreté. Mais il est doué pour le dessin et décide de s’enfuir à Minsk où un artiste-peintre nommé Krueger lui enseigne les rudiments de l’art. Un jour que Chaïm est pris à faire le portrait du rabbin, le fils de ce dernier le roue de coups au point de le faire hospitaliser.

En effet, il y a cet interdit religieux qui empêche les peintres juifs de représenter la figure humaine. Soutine partage son amertume avec deux autres artistes, Kikoïne et Krémègne. Les trois jeunes hommes rêvent de Paris, qui est alors la capitale des arts. Les artistes peuvent y exposer librement toute sorte de peinture. Il y a aussi le « Salon des Refusés » qui donne sa chance à la modernité.

MODIGLIANI, LE FEDERATEUR

Modigliani, lui, habite alors cité Falguière. Il est venu de Livourne en Italie l’année 1906 grâce aux économies de sa mère. Mais après avoir dépensé tout l’argent dans un hôtel du quartier de la Madeleine, il rejoint la Bohème de Montparnasse. Son talent lui permet de gagner sa vie en croquant les portraits sur la terrasse de la Coupole. Il voudrait être sculpteur mais ses défisciences pulmonaires l’empêchent de respirer la pierre qu’il sculpte admirablement. Alors il peint et partage son atelier avec son ami Soutine .

A l’académie Julian, Modigliani rencontre le sculpteur Chaim Jacob Lipchitz, un Lituanien venu s’installer à Paris en 1909. En effet, il pense que l’enseignement des académies parisiennes lui permettrait de se détacher de la sculpture ancesttrale sur bois pour se familiariser avec la pierre. Il y parvient en fréquentant la célèbre académie Colarossi. L’ art primitif et la sculpture africaine le séduisent rapidement. Modigliani et Chaim Jacob Lipchitz partagent tous deux cette esthétique nouvelle. Ils s’installent à la Ruche dans la plaine de Vaugirard, qui acceuille aussi d’autres artistes.

A LA RUSSIE AUX ANES ET AUX AUTRES

Chagall est arrivé de saint Pétersbourg en 1910. Il y avait cotoyé l’avant-garde et Léon Baskt, le grand décorateur des ballets russes. Sur son conseil, le peintre avait rejoint Paris tout en laissant sa fiancé, Bella, dans sa ville natale. Chagall est aussi locataire à la Ruche. Tous les matins il s’en va avec ses toiles sous le bras pour les proposer aux galeristes qui n’en veulent pas. Ces derniers ne jurent alors que par le cubisme.

Alors en 1911,Chagall peint une toile A la Russie, aux ânes et aux autres où dans un ciel découpé à la manière des prismes cubistes vole une jeune paysanne qui semble rejoindre la lune. Sur le toit d’une maison, une vache nourrit un enfant de son lait nouricier. En contrebas, une église russe. Si Chagall cotoie les cubistes, il se se résoudra jamais à l’abstraction. Sa peinture sera toujours figurative et poétique, nourrie de sa culture talmudique et russe.

En 1913 débarque un jeune homme de 20 ans. Né à Cracovie, il peint admirablement les muses de Montparnasse, comme Kiki ou Aïcha, mais il portraiture aussi les célébrités comme Colette ou Marie Laurencin. Ce jeune homme s’appelle Moïse Kisling. Vêtu de sa lévite et de sa redingote noire et armé d’un sourire ravageur, il fréquente les salons parisiens et décroche une première exposition personnelle en 1919. Si Kisling a pu être tenté par une forme d’abstraction, il est toujours resté fidèle à la figuration, que ce soit dans ses paysages ou ses natures mortes. Lui aussi peint des visages avec une immense poésie, un dessin sûr et des couleurs suaves.

UNE ECOLE A PARIS OU PERSONNE NE PARLE FRANCAIS

Que ressentent tous ces artistes qui ont quitté leur pays natal? Certainement beaucoup de nostalgie et des souvenirs attachés à l’enfance bercé dans la chaleur de la religion. Ce sentiment les rapprochent au point que la majorité des peintres utilisent des couleurs chaudes, tels des rouges sombres, des orangés veloutés des ocres bouillants. Ils cultivent surtout une poésie nostalgique qui caractérise presque toutes les toiles des artistes de l’Ecole de Paris. Par ailleurs, la plupart reste assez hermétique à l’abstraction. Seul Henri Hayden qui travaille à l’écart, se risquera à peindre vers 1915 des toiles cubistes remarquées par Léonce Rosenberg.

Mais en 1922, après avoir « épuisé les sources du cubisme », il reviendra aussi à la figuration. Les artistes de l’Ecole de Paris réalisent des natures mortes et des portraits en donnant à leur sujet un réalisme tangible qui reflète leur incertitude et leur regard bienveillant sur l’humanité. De là découle une poésie sans pareil dans les natures mortes de Soutine, les regard de Modigliani, les visages de Kisling, les natures mortes d’Esptein.

Ce qui les rapproche aussi est la barrière de la langue. En effet, Adolphe Feder et Chana Orloff sont ukrainiens. Alice Halicka, Moïse Kisling sont nés à Cracovie. Chagall, Soutine, Krémègne, Epstein parlent russe avec Ilya Ehrenbourg ou Blaise Cendrars. Modigliani ne peut parler italien qu’avec Severini et développe la gestuelle d’acteur pour mieux se faire comprendre en français. Epstein parle en yiddish avec Chagall et écrit des articles dans la même langue avec Krémègne dans la revue Machmadim.

Ce qui les rapproche aussi est leur culture hassidique. Presque tous sont d’origine juive et sont venus peindre à Paris pour fuir les interdits religieux en peinture. Aussi ces artistes ont toujours été réticents à l’appellation « Ecole de Paris » qu’André Warnod a utilisé en 1925 pour désigner les artistes étrangers venus dès les années 1910. Il leur semblait plutôt que l’auteur séparait bien les artistes français tels Braque, Léger ou Derain des intellectuels juifs de Montparnasse.

Toujours est-il que ces artistes ont dominé la scène artistique jusque dans les années 60 et le public ne les a reconnu que tardivement. En effet, la mode de l’abstraction les a longtemps écarté de la scène artistique. Il a fallu attendre les années 20 et le retour à une certaine figuration pour que les regards se tournent vers leur peinture.

Le musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme organise du 2 avril au 23 août 2020 l’exposition Chagall, Modigliani, Soutine… Paris pour École, 1905-1940 qui réunira des toiles de ces grands maîtres de l’Ecole de Paris, aux côtés d’autres peintres moins connus tels que Adolphe Feder, Alice Halicka, Mela Muter et bien d’autres.

L’ECOLE DE PARIS Modigliani, Soutine, Chagall et les autresExposition et conférence en salle. Renseignements au 01 42 80 01 54